In Real Love
- Aurélie Russanowski
- 26 avr. 2023
- 4 min de lecture
Une start-up s’est donnée la mission de rompre le célibat en faisant de la rencontre dans la vraie vie le modèle tendance à adopter pour rencontrer l’amour. Cette jeune entreprise qui opère sous le nom de “pearring” a créé une bague bleu clair qui symbolise le statut de célibataire ouvert à une rencontre amoureuse. Être célibataire est nettement plus socialement accepté aujourd’hui qu’il y a quelques années, ce n’est pas une tare d’être célibataire. Selon Statbel, la Belgique compterait fin 2022 54,74% de célibataires pour la population de plus de 18 ans. Une augmentation de 16% en 10 ans. Parmi eux donc, il y en qui le vivent très bien ou qui ne se sont tout simplement pas déclarés en couple. Mais lorsqu’on a envie de rompre ce célibat, cela semble de plus en plus compliqué malgré les innombrables applications de rencontres.
C’est dans ce cas de figure que Pearring souhaite intervenir - en signalant les cœurs ouverts à être pris au moyen d’une bague.

On ne sait pas grand-chose sur cette entreprise qui ne se présente pas. Mais les bagues existent et sont livrées au prix de 23,95 euros aux USA, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Canada et en Australie. Pour lancer la bague, la start-up a imaginé une campagne sous forme d’expérience, à savoir “la plus grande expérience sociale”. Toute la communication est axée sur le fait d’être anti-app de rencontre, anti relations virtuelles, anti-téléphone. La start-up invite les cœurs en mal d’amour mais surtout fatigués ou déçus des rencontres par l'intermédiaire d’application à prendre part à cette expérience sociale grandeur nature. Plus que d’indiquer que vous en quête d’amour, la bague indique surtout que vous êtes célibataire et non à la recherche d’une aventure extra-conjugale. La start-up a également l’ambition d’organiser le premier festival qui réunit tous les célibataires et donc de favoriser les rencontres. Tout cela reste encore assez mystérieux mais ce site suscite hautement l’intérêt de la presse anglo-saxonne qui en parle depuis plusieurs semaines.
Cet engouement peut s'expliquer tout d'abord par une réelle fatigue des applications de rencontre et des écrans. Alors que Tinder sert depuis sa création en 2012 à faciliter les rencontres dans la vraie vie, le parcours du cœur en mal d’amour s’est quelque peu complexifié à partir du confinement de 2020. Plutôt que de se voir avec des masques, les utilisateurs ont d’abord entrepris des rencontres par écrans - Teams, Zoom ou Google. Malgré l’abandon des masques, il semblerait que cette étape, la rencontre par écrans, est restée. Selon le site Match.com 1 utilisateur sur 4 continuerait de proposer une rencontre par écrans, avant la rencontre réelle. Par besoin de sécurité pour celles et ceux qui veulent éviter les mauvaises rencontres, par gain de temps et éviter les rendez-vous foireux, pour reporter encore un peu plus la rencontre en vrai. Car la rencontre en vrai est toujours décisive. Or l’usage exhaustif des applications de rencontre maintient les utilisateurs dans un état d’amoureux transi. La première rencontre en vrai amplifie cet état ou l'anéantit à tout jamais.
On peut songer aussi que l'engouement correspond à l'envie de se mettre en danger émotionnellement ou inviter quelqu’un à se mettre en danger émotionnellement, c’est-à-dire à tenter une approche. Ce qui n’est pas anodin de nos jours. J’ai lu plusieurs déclarations d’utilisateurs Tinder et qui ne jurent que par Tinder. Outre le besoin de sécurité, le besoin de certitudes et d’immédiateté, des utilisateurs déclarent ne plus vouloir oser draguer sans passer par le filtre de l’application. La vraie crainte de la drague dans la vraie vie que ce soit lors de rencontres planifiées comme lors d’un speed dating ou spontanées lors d’une soirée, c’est celle du non. Alors que par écran, on se sent à l’abri d’une terrible déception. Le non peut glisser sur nous sans nous atteindre réellement. L’engouement pour cette bague s’explique aussi dès lors par cette nouvelle envie de se mettre en danger ou d’inviter d’autres à le faire.
Plus que de vivre des émotions réelles, positives ou négatives, il s’agit de prendre des risques. Or les écrans nous protègent malgré tout. Même Tinder en est très conscient. Les campagnes réalisées par la plateforme pour séduire toujours plus d’utilisateurs représentent toujours des couples qui se rencontrent en vrai pour la première fois, ou des couples qui sont simplement en train de partager un moment de tendresse, assis dans une voiture, devant la télé - peu importe, mais toujours dans la vraie vie.


Ce que permet la plateforme, des swipes, des matchs, des messages enflammés, ne fait en réalité par rêver grand monde. Pour la simple raison qu’il n’y aucune prise de risque - échanger des messages ou se voir par écran interposé ne demandent pas beaucoup d’efforts. Il y a quelques années encore on entrait dans l’ère de la Convenience Economy, à savoir que tout est fait, pensé et organisé pour que nous ayons le moins d’efforts à faire. Pour manger, pour voyager, pour faire ses courses et pour tomber amoureux. Or on comprend peu à peu ces dernières années et ces derniers mois que cette recherche ultime de confort a un coût. Financier d’abord, mais aussi écologique, social et peut-être aussi émotionnel. C'est une hypothèse...à méditer.
Pour illustrer ce retour peut-être aux rencontres plus spontanées, à ces prises de risques émotionnelles, je vous invite à regarder le film publicitaire de Lacoste - Le grand saut - réalisé il y a près de 10 ans, en 2014 et d’une durée d’environ une minute. Une minute sous haute tension durant laquelle on comprend que l’on va assister à un premier baiser. En même temps qu’on observe le couple se regarder nerveusement dans un café, on voit les images de l’homme du couple en haut d’un gratte-ciel qui va vraisemblablement sauter.
La métaphore est parfaite. Enjoy!
© Aurélie Russanowska
Chronique diffusée sur La Première RTBF dans l'émission Tendances Première de Véronique Thyberghien et Cédric Wautier le lundi 24 avril 2023
A réécouter ici
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