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La liste de saint Nicolas

Il m’arrive de demander à mon fils de 8 ans, Marius, ce dont il aimerait que je parle lors de ma prochaine chronique dans l'émission Tendances Première. Mon fils est bavard et aime les grandes discussions.

La semaine dernière, il m’a dit : "Maman, les enfants devraient demander moins de cadeaux à saint Nicolas. Tu pourrais peut-être parler de ça?” Je lui ai répondu que c’était une bonne idée. Mais je n’ai pas tout de suite su sous quel angle aborder son sujet. Car cette phrase, si mignonne soit-elle, mène à beaucoup de sujets plus économiques et philosophiques les uns que les autres.

J’ai tout d’abord pensé à vous parler de la récession qui aura forcément un impact sur les fêtes de fin d’année. Saint Nicolas n’est pas le seul concerné. Les parents aussi fêteront plus sobrement, en nourriture et en cadeaux. Selon une enquête menée par Amazon Belgique auprès de 2000 Belges et relayée par les médias fin novembre, 83% pensent à réduire le nombre de cadeaux sous le sapin et 91% comptent dépenser moins cette année.


Mais j’ai finalement décidé de m’attarder sur la notion de désir. Lorsque mon fils me suggère de parler du fait que “les enfants devraient demander moins à saint Nicolas”, on visualise assez clairement la liste que les enfants adressent au Grand saint chaque année et qui cette année devrait, selon Marius, être un peu plus courte. En d’autres termes, les enfants devraient désirer moins. Comment faire pour que les enfants désirent moins alors que depuis des années, on nous apprend que plus cher, plus grand, plus gros ou plus tout simplement, c’est mieux?


Dans son dernier ouvrage, Le désir, une philosophie, le philosophe et sociologue Frédéric Lenoir s’attaque évidemment à notre société consumériste : désirer, dans notre conception occidentale, c’est vouloir toujours plus. Le marketing et la publicité ont véhiculé cette idéologie aux cours du siècle dernier et ont fait de nous des éternels insatisfaits. Pour Frédéric Lenoir, le désir est un élan vital, c’est l’essence de l’homme et le moteur de nos vies. Mais pendant des années, nous avons été manipulés pour que nos désirs soient synonymes de recherche de pouvoir et de reconnaissance sociale : une rollex et une maison 4 façades avec un chien et deux chats.



Mais le monde a changé et les jeunes désirent autre chose. Les jeunes réclament du sens et du respect de la planète. Je cite : “C’est donc non seulement à une tentative de régulation des désirs primaires que nous assistons, mais plus profondément à une réorientation des désirs fondés sur d’autres valeurs que celles qui ont dominé dans nos sociétés occidentales depuis plusieurs décennies.” Ce nouveau mode de pensée, si on l'applique au Marketing, revient à revoir la formule de croissance : from volume to value. La qualité plutôt que la quantité. Une valeur remplie de sens plutôt qu'une valeur marchande uniquement.


Quelques jours après m’avoir suggéré ce sujet pour ma chronique, j’ai demandé à mon fils : dis-moi Marius, pourquoi les enfants devraient-ils demander moins de cadeaux à saint Nicolas? Il m’a répondu tout naturellement qu’on produit trop; trop de plastique, trop de jouets; alors si chaque enfant ne recevait qu’un seul cadeau, ce serait déjà mieux pour la planète. Nos enfants, même si ce n’est pas encore la majorité d’entre eux, ont une plus grande conscience écologique. Et c’est en cela que la jeune génération est et doit être différente de celles qui précèdent car les désirs doivent être accompagnés de vérité et de respect.


À cela, je lui ai demandé ce qu'il penserait si saint Nicolas faisait ses achats sur Vinted, en seconde main.

Il m'a répondu que les cadeaux de saint Nicolas ne s'échangeaient pas, contrairement aux cadeaux reçus de la part des parents ou des grands-parents. Car les cadeaux de saint Nicolas sont beaucoup trop cool pour avoir envie de s'en séparer. Il serait donc difficile de les trouver sur Vinted.


Cette conscience écologique et cette logique de marché à un si jeune âge - ce qui s'échange, ce qui se vend, ce qui a de la valeur- n'est pas propre à mon fils. Ses copains en parlent, les jeunes en parlent.

Avec pour conséquence le succès du marché de la seconde main. Selon une étude d’Oxford Economics menée l’année dernière, avant la crise économique, la génération Z représente un tiers des acheteurs de la seconde main. Vinted domine le marché. On y achète des vêtements, mais aussi des jouets, des livres et toute sorte d’autres choses. Cet attrait se répercute sur l’ensemble des acteurs de la seconde main, même les acteurs non digitaux. Les Petits Riens sont en plein essor et ouvre un nouveau magasin à la Bascule à Bruxelles le samedi 10 décembre 2022.




Ce n’est pas simplement plus écologique ou facile, c’est aussi plus branché. Il y a un culte de la rareté et de l’attente. Et c’est là qu’on en revient au désir. La notion d’attente est nécessaire pour faire grandir le désir. L’attente rend l’expérience d’avoir beaucoup plus intense. La société de l’immédiat qui peut assouvir nos désirs en un clic ne nous rend finalement pas plus heureux. Combien d’adultes ne témoignent-ils pas de leur insatisfaction permanente? Et c’est là que la seconde main, outre l’aspect écologique, réussit quelque chose d’incroyable : nous plonger dans une quête de quelque chose d’unique, de rare, de vieux, que personne d’autre n’a, que peut être même personne d'autre ne veut et qu’on mettra peut-être longtemps à trouver. C’est une expérience unique et un cadeau unique à mettre sous le sapin cette année.


Je terminerai cette reflexion autour de la liste de saint Nicolas par une dernière citation de Frédéric Lenoir : “Il est donc plus que jamais nécessaire de mettre de la conscience sur nos désirs : tel est sans doute le plus grand défi de notre époque.”


© Aurélie Russanowska


Chronique diffusée sur La Première RTBF dans l'émission Tendances Première de Véronique Thyberghien le lundi 5 décembre 2022

A réécouter ici


 
 
 

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