Le Lipstick Effect
- Aurélie Russanowski
- 1 nov. 2022
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 déc. 2022

Le Lipstick Effect- en français L’effet rouge à lèvres - tire son origine du Lipstick Index - l’indicateur rouge à lèvres. L’expression Lipstick index quant à elle a fait son apparition au début des années 2000 aux Etats-Unis lorsqu’un membre du conseil d’administration de la marque de beauté Estée Lauder utilise l’expression pour décrire l’augmentation fulgurante des ventes de maquillage et plus particulièrement de rouges à lèvres alors qu’on est en pleine récession. Ce phénomène s’est répété au lendemain de l’attentat du World Trade Center en 2001. La volonté de Leonard Lauder, fils d’Estée Lauder, était que le rouge à lèvres puisse être reconnu comme un indicateur économique inversement proportionnel à la croissance. Plus la crise augmente, plus les ventes de rouges augmentent. Un indicateur permettant de mesurer la situation financière des américains. C’est une théorie qui n’a pas tenue. Car un rouge à lèvres n’est pas un achat quotidien - les femmes ne s’achètent pas de rouge à lèvres tous les jours ou toutes les semaines. L’évolution de ses ventes n’est donc pas très fiable de semaines en semaines ou de mois en mois. Le Lipstick effect quant à lui, est donc bien réel. En temps de crise, on observe globalement une désirabilité plus importante pour les rouges à lèvres.
Le géant des produits cosmétiques L’Oréal a révélé qu’en 2008 les ventes de produits de maquillage avaient augmenté de 5,3%. C’est aussi à cette époque-là que des expériences de nature psychologique ont été menées auprès des consommateurs et ont pu déterminer qu’alors que la désirabilité pour la plupart des produits diminuaient en temps de crise, elle augmentait pour des produits qui rendent les femmes plus attirantes, qui les mettent en valeur. Comme le maquillage de luxe. Le Lipstick effect est donc avant tout un phénomène psychologique. Le maquillage permet aux femmes de se sentir plus belles et donc plus confiantes. La confiance est indispensable pour traverser les moments difficiles. Mais le maquillage permet aussi de se mettre en valeur par rapport à d’autres, dans la recherche d’un emploi par exemple. L’achat d’un rouge lèvres devient alors un choix stratégique pour booster son pouvoir d’attraction et sortir du lot. A noter aussi que le prix importe peu. Entre un rouge à lèvres d’une grande marque et donc plus cher et un rouge à lèvres bas de gamme, le choix se portera sur le rouge à lèvres de marque. Car ce n’est pas son prix qui est en jeu, c’est son efficacité. C’est un achat de luxe nécessaire et le prix reste tout de même plus abordable qu’un ticket d’avion.
Que s’est-il passé en période de confinement et surtout lorsque les masques étaient de rigueur un peu partout, même dans la rue? Les ventes de maquillage et de rouge à lèvres ont bien entendu chuté. Et ce sont les parfums de luxe qui en ont bénéficié. A présent qu’on peut à nouveau se découvrir la bouche, le rouge reprend ses droits. On peut lire dans certains articles qui traitent de la psychologie du phénomène que le rouge à lèvres est le maquillage le plus primaire pour changer l’apparence d’une femme et accroître son pouvoir d’attraction.
Aujourd’hui les marketers tendent à utiliser l’expression lipstick effect pour décrire les “petits achats de luxe” que l’on s’octroie malgré des difficultés financières personnelles. La théorie est que chacun d’entre nous est libre de déterminer son “petit” achat de luxe. Pour certains ce serait un restaurant, pour d’autres ce serait une marque de café, pour d’autres encore ce serait de pouvoir s’acheter des vêtements. C’est une manière élégante de décrire finalement les choix conscients ou inconscients que les consommateurs font lorsqu’ils ne peuvent plus se permettre l’achat d’un billet d’avion mais qu’ils ont besoin de se faire plaisir - pour ne pas sombrer, déprimer. Pour tenir le coup. C’est pour cela qu’à côté des maquillage, les produits et les marques qui depuis longtemps se sont positionnés comme des achats plaisirs - des plaisirs coupables - se portent globalement mieux que d’autres en temps de récession.
Je me suis posée la question des effets de la crise sur notre relation au chocolat. Il n’y a rien de plus coupable comme plaisir que le chocolat surtout s’il est praliné ou caramélisé. Je vous parle bien entendu de la praline. J’ai donc posé la question à Leonidas. Et en effet, ils ne ressentent pas ou pas encore les effets de la crise. On a également mené une enquête auprès de 300 personnes, composée à part égale d’hommes et de femmes, au Nord et au Sud du pays au sujet des petits cadeaux que l’on s’octroie à soi-même. Sans surprise, ce sont les catégories vêtements et beauté qui arrivent en tête, suivi des snacks sucrés et des boissons. La qualité étant l’élément primordial. Une étude américaine sur la consommation du chocolat en situation de post-covid, indique cependant que les volumes de vente diminuent. Par contre, les gourmands se dirigent vers du chocolat de meilleure qualité et des formats plus individuels. Il y a clairement une envie de se faire plaisir et que cela soit efficace.
Aujourd'hui et dans les mois à venir on va assister à une plus grande polarisation des achats. D’un côté, on va remplacer une bonne partie de nos achats quotidiens par des produits de la marque des distributeurs lorsque l’échange nous paraît finalement acceptable. D’un autre côté, on va économiser pour s’offrir ou continuer de s’offrir de temps à autre une qualité supérieure. On conservera les marques qui maximisent notre plaisir, qui ont un goût de qualité et de plaisir coupable. On peut donc conclure que le lipstick effect se vérifie aussi dans d’autres catégories de produits que le maquillage. La question pour les marques étant de savoir si elles sont perçues comme suffisamment qualitatives et efficaces pour ne pas être remplacées.
© Aurélie Russanowska
Chronique diffusée sur La Première RTBF dans l'émission Tendances Première de Véronique Thyberghien le lundi 10 octobre 2022
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