Le supermarché, un monde en miniature
- Aurélie Russanowski
- 27 févr. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 mars 2023
Le supermarché est un lieu fascinant quand on y pense. Pour ce qu’on y trouve - du frais, des surgelés, des crasses, des jouets, du shampoing, - mais aussi parce qu’on y croise des tas de gens, qu’on y capte des tas de conversations, qu’on y observe des comportements parfois drôles ou pénibles. En Belgique, on est gâtés - il y a 3556 supermarchés. C’est un nombre en croissance. On compte 2,52 supermarchés pour 10.000 habitants. Ce qui est nettement supérieur aux Pays-Bas où il n’y a que 1,79 supermarchés pour 10.000 habitants. Selon le magazine RetailDetail, la Belgique est un champ de bataille où s’affrontent les grands groupes internationaux. Par conséquent l’acheteur belge fréquente en moyenne 2 à 3 enseignes pour faire ses courses. On peut dès lors affirmer que les supermarchés sont l’un des seuls lieux où toutes les générations, les styles et les classes socio-économiques se croisent même si chaque enseigne attire une partie de la population plutôt qu’une autre.
Le supermarché c’est finalement un monde en miniature.
C’est sur base de ce constat que la chaîne hollandaise Albert Heijn implantée en Belgique depuis un peu plus d’une dizaine d’années et qui compte à ce jour 74 magasins en Flandre et à Bruxelles a développé une mini web-série humoristique de 6 épisodes qui racontent l’histoire de Lina, responsable d’un magasin, et de son équipe. A ce jour un seul épisode est disponible sur le site créé à l’occasion : “dewereldinhetkleijn.be” Lina ne sait pas où placer un nouveau produit dans son magasin et chacun donne son avis. On entend les rires en arrière-plan sonore - des rires façon Friends ou Prince de Bel-Air. La série se décline en affichage, en spots télé et en matériel aux points de vente. Uniquement en néerlandais. C’est clairement une campagne d’image pour séduire encore un peu plus les habitants du Nord du pays, sous forme de plateforme de contenu.

Les acteurs de cette série sont des professionnels et non de vrais employés. Il n’y a donc pas de volonté de se positionner comme un employeur attractif et sympathique au-delà de la campagne image. Si cela avait été le cas, ils auraient pris des vrais employés par souci d’authenticité. Prendre des vrais employés n'aurait pas fonctionné dans la formule actuelle. Ce n’est pas une télé-réalité, tout est scénarisé. Créer une série c’est intéressant car c’est entrer dans la culture populaire. Tout à coup la marque prend une autre dimension. Elle fait partie d’un imaginaire collectif et ce n’est plus seulement un lieu où l’on peut acheter un tas de choses. On est curieux de découvrir les prochains épisodes et de savoir si cette série arrive à conquérir le cœur des flamands.

Cela peut paraître paradoxal de mettre en avant le magasin physique alors que de plus en plus de gens achètent en ligne. Qu’il s’agisse de supermarchés, de department stores ou de boutiques de mode, tous les magasins physiques sont en perte de vitesse. Toutes les marques (ou presque) investissent massivement dans l’e-commerce. Plusieurs ferment leurs magasins physiques par souci d’économie. Lorsque les marques ouvrent des magasins physiques, ce sont des pop-up stores qui restent ouverts un ou quelques mois. On joue sur la nouveauté et l’urgence. Mais en tout cas, il faut une réelle proposition différenciante.
Dans la plupart des rapports de tendances 2023 à 2030, il est avancé que les lieux physiques qui resteront ouverts dans un avenir proche sont ceux qui offrent une raison supplémentaire de se rendre au supermarché. Il y a ceux qui deviennent des petits poumons verts au sein des grandes villes. Les supermarchés sont généralement des lieux avec beaucoup de m2. Pour continuer d’exister, certaines enseignes ont décidé de transformer leurs toits en potager, ou de cultiver des fleurs et des légumes au sein même du lieu. Le supermarché n’est plus seulement situé quelque part en ville, il en fait intégralement partie et participe aux nouveaux plans d’urbanisation. Une manière de devenir indispensable pour la collectivité. Il s’agit par exemple du supermarché Burwood Brickworks à Melbourne en Australie qui est entièrement recouvert de plantes et qui fait pousser des plantes partout à l’intérieur du magasin.

Il y a ceux qui se transforment en parc d'attractions. C’est le cas du Uniqlo Park à Yokohama au Japon qui a aménagé des murs de blocs et d’escalade tout autour du magasin.

Quid de l’humain qui disparaît petit à petit des supermarchés avec la croissance des caisses automatiques. Les caisses automatiques suppriment cet échange humain, parfois le seul, que nous avons avec le personnel du supermarché. Même si certains adorent car c’est plus rapide et plus pratique, il est important de se rendre compte de ce lien qu’on détruit petit à petit. Annie Ernaux, femme de lettres et Prix Nobel de littérature en 2022, a tenu a tenu un journal de ses visites à l’hypermarché Auchan du centre commercial des Trois-Fontaines situé en région parisienne durant un an, entre novembre 2012 et octobre 2013. Ce mini-livre a amplifié ma fascination pour les supermarchés. Elle évoque entre autres les caisses automatiques.

A la caisse automatique, j’attends derrière un type avec une queue-de-cheval, un long manteau de cuir noir, des Doc Martens. Une machine se libère. Au moment de ranger mes courses dans un sac plastique (payant, 3 centimes), je m’aperçois qu’un second est resté collé non comptabilisé par la machine. J’ai involontairement fraudé. Ce genre de dispositif pousse à l’indifférence morale. On n’a pas le sentiment de voler face à une machine.
Ramener de l’humain, c’est donc essentiel
Pour chaque tendance, il y a une contre-tendance. Qui est d’ailleurs nettement plus intéressante. Par opposition aux caisses rapides et automatiques, on commence à voir l’apparition de caisses lentes en France dans les magasins Hyper U avec un petit carton “Ici on prend le temps” ou de plages silencieuses en Belgique entre 14h et 16h dans les magasins Carrefour pour permettre aux hypersensibles de faire leurs courses plus sereinement.


Un microcosme fascinant et intéressant à observer.
© Aurélie Russanowska
Chronique diffusée sur La Première RTBF dans l'émission Tendances Première de Véronique Thyberghien et Cédric Wautier le lundi 27 février 2023
A revoir ici

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